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1973. Daniel Tarnovski est un jeune réalisateur franco-polonais issu de la bourgeoisie Parisienne. Les petits fours, les soirées mondaines, ça ne l’intéresse pas. On est cinq ans après les évènements de mai 68. La liberté. Sans limite.

Daniel Tarnovski fait la rencontre d’un certain Edwin Tok. On ne saura jamais son véritable nom. Edwin Tok est un scénariste du genre extrême. Il a déjà signé les histoires de deux courts métrages passés totalement inaperçu et interdits de salles. De son côté, Daniel Tarnovski a déjà un premier long métrage assez confidentiel à son actif, “Le savoir inversé”. Le film est disponible à la cinémathèque de Paris.

A cette époque, Daniel Tarnovski est en quête de son chef d’œuvre. Il voudrait écrire une œuvre qui marquerait l’histoire. Quelque chose de profond, aux multiples couches d’interprétations. Dans l’une des rare interview que j’ai pu trouver de lui, il parle de Relik comme d’un « mélange entre Massacre à la tronçonneuse et La montagne sacrée. Le premier pour sa vision de la famille. Le deuxième pour l’occulte. ». 

Edwin Tok va se reconnaître dans les envies de Daniel Tarnovski. Parce que lui aussi, il végète une idée de scénario depuis longtemps. Au point d’en faire une obsession. Dix ans qu’il travaille sur ce scénario. Il n’en écrira aucun autre après. C’est l’œuvre de sa vie. Son truc à lui, ce sont les histoires, juste les histoires. Donner plusieurs sens aux mots. Jouer avec les dialogues. Multiplier les couches d’interprétations. C’est un virtuose du script. Un scénariste de génie. Un réalisateur bourré de talent. Les deux étaient fait pour se rencontrer.

La période entre leur rencontre et le début du tournage est très peu documenté. Sur les forums, on dit qu’ils ont été amant. D’autres parlent au contraire d’une relation conflictuelle. Le financement du film Relik demeure aussi un mystère. On peut supposer que la fortune de Tarnovski a aidé.

Toujours est-il, le tournage a lieu début 1974. Beaucoup de décors seront construit spécialement pour le film. 

C’est là que les ennuis commencent. Les acteurs se plaignent de conditions de travail difficile. On tourne de jour comme de nuit, souvent dans le froid. Ils dorment à l’intérieur des décors, à même le sol. Le budget repas est passé à la trappe. Les scènes sont floues et les acteurs ne sont pas du tout dirigé.

Pour comprendre les exigences étranges de Daniel Tarnovski et Edwin Tok, il faut résumer l’histoire de Relik.

Quand on le visionne du début à la fin, Relik raconte l’histoire d’une famille vivant dans une pauvreté extrême. Un père, une mère, et un fils d’une dizaine d’années. La quasi-totalité du long métrage se passe dans leur maison. Un taudis délabré, infesté de cafard. L’ambiance des scènes sont oppressantes. Les parents ont des comportements bizarres. Plus le film avance, plus l’horreur va s’infiltrer dans notre esprit. On comprend qu’un homme vient visiter le fils régulièrement, qu’il paye pour « son plaisir ». Et ce n’est que le début d’une descente aux enfers. On apprend ensuite que le fils a un frère, qu’on ne verra jamais. Vous comprendrez après pourquoi.

Mais il y a une autre façon de le regarder. En commençant par la fin et en prenant chaque dialogue à rebours, on découvre un autre film. Cette fois, la famille n’a rien de monstrueuse. Le film relate l’histoire touchante d’un père et d’une mère qui font tout pour éduquer leurs enfants, jusqu’à sacrifier leur propre vie pour les sortir de la précarité.

C’est là tout le propos de Relik. L’œuvre dénonce le pouvoir des images et le jugement hâtif que l’on peut se faire sur des personnes.

Relik sort en 1974. Tarnovski et Tok sont très fier de leur œuvre. Mais les premiers retours sont catastrophiques. Certains spectateurs quittent les salles, quand d’autres vomissent.

Très vite, la bobine est interdite dans les cinémas. Finalement, quelques centaines de personnages à peine auront vu Relik en entier.

Le temps passe. Edwin Tok disparait de la circulation. Daniel Tarnovski continuera son chemin, devenant producteur pour Hollywood.

Le hangar qui stockait les dernières copies du film prend feu. Relik aurait pu tomber à jamais dans l’oubli, sauf que…

Dans les années 90, une version du film refait surface. Quelques amateurs de cinéma extrême lui donne un statut de « film culte ». Pourtant, ces cinéphiles ne se doutent pas qu’ils ne regardent pas le bon film. Ou plutôt, il manque une partie. Une séquence d’une minute et vingt-neuf secondes pour être exact.

Mais ça, les spectateurs ne vont pas s’en rendre compte. Comment le pourraient-ils ? La première version n’a été montré qu’à une poignée d’individus. Ce que ces nouveaux spectateurs ignorent, c’est que pour comprendre pleinement le film, cette scène perdue est vitale.

Il faudra attendre l’avènement d’Internet pour que des utilisateurs commencent à parler de Relik. Certaines personnes présentes au moment de sa sortie en 1974 vont évoquer le souvenir d’une scène disparue. Les témoignages vont se multiplier, jusqu’au début des années 2000 où la communauté des losts media va se lancer dans une chasse au trésor qui ne verra jamais de fin.

Jusqu’à aujourd’hui.